Il y a des objets qui n'ont pas de chance dans la vie.
Vous êtes vous déjà posé la question de ce que peut ressentir un clou ?
Contrairement à une pointe qui en a une toute petite, le clou à une grosse tête. Pas la grosse tête, non, une grosse tête. Dure, très dure. Pourtant, ça ne l'empêche pas de ressentir toutes les profondes injustices de sa vie de clou.
Il faut avouer que la tête de clou n'est pas très photogénique. Comble de détresse : son grand ennemi, le marteau, a eu droit à son drapeau (si si, rappelez-vous, il y a quelques années, quand il faisait copain - copine avec une faucille). Le clou, lui de drapeau, que nenni, des clous !
Le seul instant où l'on s'intéresse à un clou, alors qu'il a passé de longs jours d'ennui allongé à l'ombre parmi ses congénères dans une boîte de carton bouilli, le seul instant où on le prend entre ses doigts, c'est pour lui taper violement sur la tête et l'enfoncer à coup de marteau entre des fibres de bois plus ou moins accueillantes, qui, elles n'ont plus, n'attendaient pas de visite.
Le corps coincé jusqu'au cou dans une planche, la tête fracassée qui dépasse à peine du bois : voilà le destin du clou.
Son heure de gloire à lui, ce sont les deux secondes qui précèdent les coups, le moment où, entre deux doigts, brillant un instant à la lumière du jour, on le considère utile : il va rendre service ; c'est lui le clou du spectacle. Il va servir à tenir la planche sur la lambourde ou le chevron sur la poutre. En cet instant, il pourrait avoir la grosse tête. Et bien, non, il reste modeste, le clou.
Certains parmi la grande famille des clous ont la chance de se retrouver pincés mignonnement entre deux lèvres avant le verdict immuable. Ceux-là, non plus, ne se mettent pas à fanfaronner. Je vous dis, il reste toujours modeste, le clou.
En plus de lui taper dessus, le clou, on lui demande de filer droit. S'il résiste et se tord, pas de pitié. Soit il se fait frapper encore plus fort pour rentrer tordu dans le bois, soit il se fait agripper par une tenaille, arracher du bois et, malgré ses couinements, jeter encore tout frémissant de douleur à la poubelle... D'où l'expression : « Se faire jeter au clou ».
En règle générale, le destin d'un clou cloué qui a choisi de filer droit, c'est de se tenir tranquille, cloute que cloute. Pour peu qu'avec le temps, il change d'avis et se mette à couiner dans le bois, gare à lui : l'angoisse de la tenaille lui tenaille le cou.
C'est terrible de naître clou, de vivre clou et de mourir clou. Ah quelle tristesse que le couinement du clou au fond du bois !