C'est peut être bête à dire, il faut que je vous l'avoue, je n'aime pas l'écossais. Je ne sais pas pour vous, mais moi, je n'ai jamais aimé l'écossais. Pas le pingre qui se ballade en kilt, pas le citoyen de sa majesté la Reine Elisabeth, pas celui de la perfide Albion, non, pas celui-là, ... je parle du Motif écossais, les rayures qui se croisent.
Je trouve ça triste, l'écossais. Pas étonnant qu'on en fait des mouchoirs. Triste à en pleurer. Et la jupe plissée écossaise ? Déprimante. C'est le croisement des rayures qui me désole. Je ne sais pas pourquoi, mais toutes ces lignes, des petites, des moyennes et des grosses, toutes dans des couleurs qui n'existent pas ailleurs, des verts de gris à se suicider, des couleurs d'automne à faire tomber les feuilles des arbres, des teintes grises et beiges à faire fuir les oiseaux vers des cieux plus cléments, des bleus nuit d'avant la tempête, des rouges pinsons qui se croisent avec des verts boutonneux, et que je te croise et que je te recroise, le motif écossais, ça me file le bourdon.
Les tissus à fleur, c'est autre chose : il y a des ramages, des courbes, des volutes, ça roucoule, ça gazouille. Avez-vous déjà entendu gazouiller un kilt écossais ? Moi jamais !
Claude Lévi-Strauss n'a jamais trouvé de motif écossais chez les Indiens Bororo pas plus que Jean Malaurie chez les Inuits, pas plus qu'aucun autre ethnologue chez les Aborigènes d'Australie ou les Papous de Nouvelle Guinée. Aucune trace d'écossais chez les Indiens d'Amérique ni les Indiens d'Inde. Pas de motif écossais dans les hiéroglyphes égyptiennes ni dans l'écriture chinoise ou arabe. La volupté des estampes japonaises n'en comporte pas plus que les gravures du néolithique sur granit armoricain. Et Yves Coppens confirme qu'il n'y avait pas de mouchoirs à carreaux dans l'armoire à linge de Lucy.
Jusqu'à une certaine date du début de notre ère , il y a un peu plus de deux mille ans, (ce jour-là, un gars maigre et barbu appelé JC par ses potes (Jean-Claude probablement) se serait fait épinglé à un croisement alors qu'il aurait refusé de prendre le passage clouté, ou quelque chose du genre, je ne connais pas les circonstances exactes mais il paraitrait qu'on en parle encore dans certaines chaumières...), jusqu'à cette funeste date, personne n'avait eu l'idée de croiser des lignes horizontales avec des lignes verticales. Personne. Les armées croisaient le fer, des chemins qui menaient à Rome croisaient d'autres chemins qui menaient à Rome, des hordes de loups croisaient dans nos forêts bretonnes des rondins de bois chargés de menhirs... Mais personne n'avait imaginé porter une fourrure écossaise, se draper d'une toge écossaise, orner son bouclier de motifs écossais et pleurer dans un mouchoir de Cholet.
En hommage à l'accident de JC précédemment cité, il y a bien eu une première tentative de croisement de ligne au milieu du Moyen Age, tentative modeste car ne consistant à croiser sur des tuniques qu'une seule et courte ligne horizontale avec une seule et courte ligne verticale. Ces inventeurs pitoyables se sont fait appelés les croisés et, fiers de leur découverte, ont paradé jusqu'à ce qu'ils ne rencontrent plus personne sur leur chemin. Arrivés au milieu d'un désert de sable chaud, les gens du coin leur ont demandé de faire demi tour, ça a fait tout un pataquès et on connaît la suite.
L'expérience et les ratées de l'histoire devraient apprendre la sagesse aux hommes. Et bien non. Pour ce qui est des erreurs du passé, il y a toujours quelqu'un pour les reproduire au centuple. D'un simple croisement de deux lignes courtes au milieu d'une étoffe, un malheureux tisserand habitant dans les brumes lointaines d'Ecosse a décidé de couvrir tout le tissu d'une multitude de lignes horizontales avec une multitude de lignes verticales. Et personne pour lui dire : « Arrête, c'est moche. » Personne ! Pire, certains, n'osant pas le vexer, ont accepté de se vêtir de ces tissus croisés. Puis, la force de l'habitude... Un vrai désastre qui a traversé la Manche et s'est propagé sur tout le continent et au delà.

La propagation a été fulgurante, une véritable pandémie : ne se contentant des kilts de Glasgow et d'Edimbourg, elle est passée aux jupes des écolières de tous les pays voisins, puis à leurs chaussettes, elle s'est ensuite attaqué aux tabliers des ménagères, aux cravates de leur maris, aux nappes de tables, aux rideaux de la cuisine, à la tapisserie de la salle à manger, tout cela pour finir sur les chemises des bucherons canadiens... Ne nous laissant pas laisser le moindre répit, le motif écossais pouvait même s'inviter la nuit dans nos chambres à coucher. Le cauchemar ! Il est indéniable qu'une couverture écossaise gratte beaucoup plus qu'une couverture fleurie.

Un vrai désastre, j'insiste : imaginez les rayures horizontales des pulls marins associées aux rayures verticales du combi short d'Obélix. On embarque le tout ; résultat : au premier rocher croisé, c'est le naufrage assuré.

Mais je dois vous avouer qu'au milieu de cette aversion que j'ai pour l'écossais, il y a quelque chose qui me chagrine plus que tout. Ma fille cadette a un petit ami, gentil comme tout, poli, sympa, propre sur lui, pas bête du tout, le gendre idéal. Tout pour plaire à ma fille (surtout) et à ses parents (aussi). Seul petit hic : il a un blouson en plastique à rayures vertes dans un sens et grises dans l'autre sens, un truc entre le sac de couchage, la tente de survie et les toboggans gonflables qui servent à évacuer les passagers quand un avion vient de se scratcher en plein océan.
Et là, je craque ! Comment lui dire qu'il faut tout remettre à plat ? Aidez-moi à trouver les mots !