Est-ce que cela vous dit quelque chose, cette expression qu'utilisent encore les bouilleurs de cru pour dénommer les vapeurs d'alcool qui s'évaporent à la sortie de l'alambic : « La part des anges » ?
En Pays d'Armagnac ou de Cognac, cela dénomme la part d'alcool qui s'évapore du fût pendant la période de vieillissement. Quant on pense que dans la seule région de Cognac, ces évaporations représentent à elles seules l'équivalent de vingt millions de bouteilles par an, cela laisse rêveur. On n'ose pas imaginer le nombre de verres, de bolées, de pichets, de cruches, de tonnelets, de barriques et de camions citerne que cela peut représenter ! 
En Bretagne et Normandie, régions productrices de pommes et dans toutes les autres contrées de France où le raisin veut bien pousser et murir, au moment de la distillation du cidre et du vin pour le transformer en eau de vie, ces vapeurs d'alcool montent au ciel, irrémédiablement perdues pour nous, pauvres hommes à ras de terre, alors qu'elles vont chatouiller les narines des angelots.  
Imaginez-les, penchés au bord de leur petit nuage, accrochés avec leurs petites mains d'anges pour ne pas tomber sur terre, en train de guetter l'arrivée des vapeurs alcoolisées. Il faut les voir, ces anges et ces archanges, se réjouir en voyant en bas le père François amener son vieux cidre à l'alambic le jour de la « goutte » comme on dit dans le Morbihan, le jour du « lambig » comme on dit en Finistère. Ce jour-là, c'est jour de fête au paradis, tournée générale, et gratis en plus ! 
Le Bon Dieu ne peut avoir l'oeil à tout. Quand le serpentin de l'alambic crachouille ses gouttes de «goutte» à 70°, de l'autre coté de l'engin, la fumée elle aussi émarge à la même température d'alcool. Et le petit nuage bien chargé monte, monte, et les anges au bord de leur nuage salivent, rosissent d'excitation et de gourmandise, profitant que Dieu discute le bout de gras avec Saint Pierre, à propos de quelque chose dans le genre « Pierre, la porte, s'il te plait, il y a des courants d'air ! » ou encore « Mais enfin, rappelle-toi, tu les a posée où la dernière fois, ces satanées clés ? ». 
Pendant ce temps là, sur le nuage d'à côté, les anges n'en font qu'à leurs têtes, narines au vent, se trémoussant à l'approche imminente du petit nuage odorant.  Et quand les effluves arrivent à bon port, quelle débauche de rigolade, d'embrassades, de cabrioles, de galipettes et d'alléluia ! Cotillons, serpentins et confettis volent de toutes parts. Les trompettes du paradis rivalisent en espièglerie avec les langues de belles-mères. Les petits anges à la queue leu-leu jouent à saute-mouton tandis que les grands anges font des pirouettes au trampoline. C'est fête au nuage. 
Tant et si bien que les petits voilages, les rubans et les feuillages romantiques qui habituellement restent à leur place, si judicieusement disposés bien comme il faut tout au dessous de la ceinture de nos anges joufflues, tressautent, se décrochent et s'envolent au vent fripon. 
C'est ainsi que, grâce à la « goutte » du père François, du père Eugène et de tous les pères de Bretagne, d'Armagnac, de Cognac et d'ailleurs, le grand mystère du sexe des anges n'en ai plus un.